Election française: ces médias suisses qui dérangent
Ce n’est pas notre affaire. Et pourtant l’affaire nous concerne. Est-il admissible de publier en Suisse, ou dans tout autre pays étranger, des résultats d’une élection ou d’un référendum se déroulant en France, avant l’heure imposée par la loi française?
La question ouvre un conflit de légitimité.
La France a de bonnes raisons de contrôler la publication et la diffusion de sondages en période d’élection. La principale tient à une possible influence des résultats d’une enquête d’opinion ou d’estimations anticipées sur une partie du public, et donc sur l’issue du vote lui-même.
Dans un premier temps, sous Giscard d’Estaing, la précaution était béton: l’interdiction s’étendait à toute la semaine précédant chaque tour de scrutin et jusqu’à la fin des opérations de vote.
Cette loi de 1977 a été modifiée en 2002. Désormais, l’interdiction de publier, de diffuser et de commenter ne porte que sur la veille et le jour du scrutin jusqu’à la fermeture des derniers locaux.
Les usages et espaces nouveaux de la blogosphère rendent cependant largement caduques ces dispositions.
La France a déjà procédé à quelques ajustements pratiques. Depuis 2007, le scrutin est avancé au samedi dans les circonscriptions outre-mer, de manière à tenir compte du décalage horaire. Dans la foulée, le Conseil constitutionnel recommanda la même année la fermeture de tous les bureaux de vote en métropole à la même heure, afin de prévenir la publication anticipée d’estimations de résultats. Il n’a pas été suivi. Son président Jean-Louis Debré le déplore aujourd’hui.
En 2011, une proposition de loi conjointe du président de la commission des lois du Sénat, socialiste, et d’un sénateur de l’UMP préconisait elle aussi une telle réforme. L’Elysée s’y est alors opposé. Cela rend plus surprenante encore une déclaration du président Sarkozy, à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, selon laquelle il ne serait «pas choqué» par l’annonce de résultats avant 20 heures, estimant «datées» les règles actuelles…
Sans être la panacée, une fermeture unifiée des locaux de vote assurerait, semble-t-il, une acceptable «sincérité du scrutin». Les instituts de sondages et les médias seraient placés en situation de concurrence et rivaliseraient d’estimations «sortie des urnes», jusqu’au moment où les chiffres définitifs tomberaient du ministère de l’Intérieur. C’est ainsi que cela se passe dans de nombreux pays.
C’est oublier qu’en France, la République a ses rites. L’un d’eux est la révérence à la télévision, trace d’un temps où le président Pompidou qualifiait l’ORTF de «voix de la France». Dans quel autre pays le journal télévisé du soir est-il qualifié de «grand-messe»?
Cela peut se comprendre: les médias délivrent des messages de plus en plus éparpillés, s’inscrivent dans un espace public fractionné. Un soir d’élection recolle les morceaux.
La journaliste française Elisabeth Lévy l’a fort bien exprimé dans une chronique du Matin Dimanche, condamnant la publication de résultats anticipés: «Le plus grave, c’est qu’on nous prive du lever de rideau partagé : à 20 heures, les soirs d’élection […] nous découvrons ensemble l’histoire que nous allons écrire».
C’est bien dit. Mais en quoi cela condamnerait-il la légitimité d’une recherche journalistique et d’une publication médiatique dans d’autres pays? Tout média étranger serait-il tenu d’afficher sa dévotion en respectant l’heure de la messe?
L’élection présidentielle française, de tout temps, intéresse ses voisins. C’est un hommage à l’importance et au rayonnement culturel de la France. Pourquoi leurs médias devraient-ils se soumettre dès lors aux lois françaises, dans des pays qui ont les leurs? L’Internet leur permet d’informer sans frontières. Et sans violer les lois auxquelles ils sont soumis.
Enfin, contrairement à ce que soutient Mme Lévy, je ne sache pas que les médias rebelles tirent parti de leur posture pour «gagner de l’argent». Peut-être était-ce le cas – et encore, de manière marginale – lorsque des journaux distribuaient en territoire français des sondages «non publics» au prix du papier. Dans l’état du modèle économique de l’Internet, une information anticipée coûte des efforts et de l’argent. Dans le meilleur des cas, elle rapporte une passagère notoriété.
Je suis Française et vous approuve entièrement. Je me demande au nom de quoi, nous interdirions à un pays étranger de faire ce qu’il veut chez lui et d’appliquer les lois d’un autre pays, fût-il la France. La liberté existe qu’elle soit d’expression ou autre. Et elle n’existe pas qu’en France, mais les Français sont à part, tout le monde sait ça…..